La Légende de la Flûte

par Miléna Kunz

 

 Sois pur, libre de tout mensonge,

Que rien ne soit en toi, que rien ne soit à toi!

Sois comme la flûte, un roseau évidé,

Une flûte au son clair, pur et limpide,

Et Dieu jouera avec toi,

Son Haleine te pénétrera et le monde s'éveillera

aux accents de cette Divine mélodie...!

                 

                  Bhagavan Sri Sathya Saï Baba

     Après la mousson, la longue bande de terre qui longeait la rive du cours d'eau s'était amalgamée en une boue sèche et rougeâtre, à la surface craquelée et brûlée par les rayons du soleil indien.

     Sur ce ruban de terre, un petit roseau grandit parmi les autres. Tous ses ancêtres avaient pris racine au même endroit, sur la rive. Depuis le début des temps, les roseaux élancés et majestueux, couronnés de larges éventails feuillus, poussaient sur l'argile. Après chaque mousson, de nouvelles pousses brisaient la croûte terrestre pour s'élever, gorgées d'eau, d'air et de soleil. Les hommes appelaient ce cours d'eau Sacré la "Yamuna", et les roseaux la nommaient, "La grande eau".

    La tendre pousse, après avoir laborieusement repoussé la terre pour se frayer un chemin, et, animée d'une force vitale irrésistible, arriva un beau jour à la surface. Après un ultime effort épuisant, elle émergea, et vit enfin la Lumière. Elle en fut toute éblouie et le vert pâle de son petit capuchon devint presque blanc à la lumière du soleil. Elle resta longtemps immobile, ivre d'air pur et de couleurs, toute alanguie, comme on l'est après avoir fait un violent effort, et qu'on s'est libéré de la tension.

     Maintenant, elle comprenait la raison de toute cette fatigue!

     Elle s'était souvent demandé quand elle était encore enfouie dans le sol, pourquoi elle devait tant lutter contre les durs caillots de terre. Pour aller où? Tout était sombre, au dessus comme au dessous! Elle aurait préféré rester tranquille et se rendormir paisiblement, mais une force inexplicable la poussait à monter contre son gré!

     Maintenant qu'elle était arrivée à la surface, tout cela lui semblait un mauvais rêve, et elle était heureuse d'exister, de voir le soleil et d'avoir gagné sa première bataille. Mais quand le soleil s'engouffra dans la terre, à l'horizon, la petite pousse qui venait de naître fut bien surprise. Peut-être devait-elle retourner dans la terre et le suivre? Son voyage n'était donc pas terminé? Où devait-elle encore aller? L'obscurité de la nuit lui semblait tout de même moins épaisse que celle du limon. Tout à coup, de minuscules points lumineux apparurent autour d'un soleil pâle. Venait-il de naître lui aussi? Il était si blanc et si morne! Il était sûrement encore épuisé par l'effort qu'il venait de faire pour venir au monde, le petit roseau le savait bien, lui!

     Il demanda d'une voix fluette à un roseau plus grand qui était à côté de lui: " Il est né de quelle terre, ce soleil blanchâtre ? "

     La réponse fut accompagnée d'un petit rire gentil: " ce n'est pas le soleil! C'est la grande reine de la nuit et des eaux: la lune! "

     Le petit roseau qui venait de naître, ne voulant pas avoir l'air trop stupide, se tint coi, tandis que mille doutes l'assaillaient: " La nuit? L'eau? Est-ce que la nuit était un autre genre de ténèbres, faite d'air au lieu de terre? Lui fallait-il traverser cette obscurité aussi, pour retrouver la lumière? Les géants qui étaient à côté de lui et dont il ne pouvait même pas voir la tête étaient-ils déjà de l'autre côté de la nuit? "

    

 

     Au comble de la surprise et de la frayeur, le petit roseau ne s'était pas rendu compte qu'une faible lueur pointait à l'ouest. Le soleil parut bientôt à l'horizon et le ciel prit des reflets roses et dorés. Le petit roseau avait un jour!...

     Il apprit beaucoup de choses au fur et à mesure que le temps passait: se laisser caresser par le vent qui parfois le chatouillait avec impertinence et le pliait de tous les côtés, conserver dans ses racines l'humidité de la terre en prévision des longues journées torrides, boire la rosée du matin avec révérence et gratitude et communiquer avec les autres habitants de la jonchaie. La petite pousse grandissait de jour en jour, heureuse et sans soucis, mais il lui arrivait parfois de se demander: " Pour qui et pourquoi dois-je grandir ? " Après avoir cherché longtemps sans trouver de réponse, elle finit par poser la question aux roseaux adultes qui lui répondirent en se balançant d'un air gêné: " Quelle question idiote ! On grandit par ce qu'on doit grandir, et vivre, tout comme l'ont fait nos grands-parents et tous nos ancêtres depuis le début des temps ! Quelle jeunesse ! Tu veux peut-être savoir aussi pourquoi le soleil est rond et la grande eau, mouillée ! " De petits rires moqueurs éclatèrent dans toute la jonchaie et secouèrent les grands roseaux qui se plièrent en craquant jusqu'à effleurer les eaux du fleuve.

     Les oiseaux effrayés s'envolèrent. Le petit roseau aurait voulu rentrer sous terre. Il tremblait de honte: " Est-ce que c'est aussi bête que ça ce que je leur ai demandé ? " Vexé, il ne dit plus rien et refusa de répondre aux moqueries des autres roseaux qui le montraient du doigt en riant. Cela dura encore pendant quelques jours, et puis personne ne lui adressa plus la parole.

     Puisqu'il ne pouvait plus passer son temps à bavarder, le petit roseau en profita pour écouter. Il aurait volontiers participé à la conversation, oubliant son humiliation, mais on le considérait maintenant comme un paria, un être anti-social, incontrôlable et dangereux, aux idées révolutionnaires. Il resta dans son coin et au fur et à mesure que le temps passait, il finit par se rendre compte de la banalité et de la fadeur de tous ces bavardages et ces cancans !

     Il ne se sentit plus triste du tout et son isolement forcé commençait à lui plaire. Il continua à pousser à côté des autres, à part, en apprenant la leçon du silence... Le silence lui offrit le secret de la mélodie. Un talent nouveau naquit en lui; il apprit à capter les sons les plus subtils et à apprécier le chant des oiseaux, le murmure des eaux et le crépitement des gouttes de pluie. Il réussit bien vite à percevoir la voix des choses, des animaux et des fleurs et même celle de la terre et du ciel. La création entière chantait un hymne à la Lumière et à l'Amour, sur des myriades d'accords ! Les vers qui labouraient le sol, et tous les habitants des souterrains produisaient eux aussi un son qui faisait vibrer la terre en accord avec les palpitations des racines. Les racines du petit roseau chantaient elles aussi, et les notes couraient le long de sa moelle en remontant jusqu'aux petites feuilles qui recouvraient sa tête.

     Il se laissa emporter par cette mélodie qui lui parut encore plus enivrante que la caresse du vent. Il passa des heures et des heures à écouter les différents sons et à les répéter mentalement, en prêtant l'oreille à leur écho.

     Pourquoi n'avait-il jamais rien entendu auparavant ? Même les choses qui chantaient le mieux semblaient ne pas s'en rendre compte ! Mais pour le petit roseau, l'air, l'eau et la terre vibraient au son de mélodies d'une douceur ineffable.

 

     Un rossignol vint dans la jonchaie et se posa sur lui. Il connaissait le chant des corbeaux, des pies, des passereaux et des fauvettes, et celui des petits perroquets vert émeraude qui venaient par centaines et voletaient de-ci de-là en bavardant, mais il n'avait encore jamais entendu un rossignol. Ce dernier se mit à chanter au crépuscule quand le ciel se colore et que l'air se teinte de mélancolie. Le petit roseau sentit toutes ses feuilles se redresser et il se raidit, le souffle coupé. Jamais il n'avait entendu un chant aussi doux et aussi émouvant ! Il se sentit envahi par la musique, des racines jusqu'à la dernière feuille ! C'était si beau que ça lui faisait presque  mal !

     Le rossignol vint tous les jours lui chanter ses plus belles chansons. Il passait le jour et la nuit à attendre  l'heure de sa venue et commençait à vibrer dès qu'il sentait le poids léger de l'oiseau se poser sur lui. Le rossignol devint son Maître; il lui enseigna toute la gamme des sons et la magie de la mélodie qui enchante les bêtes sauvages et les hommes. Il lui enseigna les différents tons, le rythme et la force du silence entre deux notes. Le petit roseau écoutait avec avidité, heureux d'avoir trouvé quelqu'un qui pouvait apaiser sa soif de connaissance.

     Un jour, plein de confiance, il voulut poser son éternelle question qui jusque-là était restée sans réponse. Oserait-il se confier à son Maître ? Il s'arma de courage et lui demanda, ressentant encore la brûlure de la vieille humiliation qu'il avait reçue: " Pourquoi chantes-tu ? Pourquoi est-ce que je vis ? Pourquoi est-ce que c'est moi qui reçoit ta chanson ? " Ce soir là, le rossignol se tut. Il resta longtemps presque immobile, tandis que le petit roseau était au comble de l'angoisse: "est-ce que l'oiseau ne comprenait pas, lui non plus ? Qui lui répondra jamais ? " Quand le soleil eut complètement disparu et que la lune brilla au firmament, le rossignol se mit à chanter comme il ne l'avait jamais fait. Son petit corps entier n'était plus que musique et la mélodie poignante monta dans la nuit comme une prière. Le silence se fit de plus en plus profond, les arbres restèrent immobiles, les grenouilles cessèrent de coasser et les grillons de frotter leurs ailes... Tous écoutaient fascinés et sentaient non seulement le chant de l'oiseau mais celui de la terre qui s'exprimait à travers lui. Les notes firent une échelle entre le ciel et la terre et s'élevèrent jusqu'aux étoiles en créant un firmament tout nouveau. Le rossignol chanta le profond mystère de la vie, puis il ouvrit les ailes et s'envola dans la nuit. Jamais plus il ne revint. Le petit roseau l'attendit, mais en vain. Il eut beaucoup de mal à se remettre de la douleur de la séparation. Mais il faut dire que pendant cette fameuse nuit, il avait grandi ! Son petit Maître lui avait fait don de tout son savoir, de son plus grand trésor: le chant de la terre. Ce chant l'avait pénétré et était devenu une partie de son âme. Le silence se fit encore plus profond pendant les jours qui suivirent et au cœur de sa solitude, la mélodie qu'on lui avait confiée vibrait dans tout son être avec une force égale, limpide et belle.

     Un jour, avant les pluies, alors que l'air était très lourd et oppressait le ciel et la terre, des hommes arrivèrent avec un attelage de majestueux bœufs blancs,aux cornes ornées de petites clochettes. Il y eut tout à coup un grand remue-ménage dans la jonchaie. Les hommes, après avoir enjambé un fossé, rejoignirent la rive du fleuve. A coup de hachettes et de couteaux effilés, ils commencèrent à abattre sans pitié tous les roseaux.

     Tous les habitants du marais se sauvèrent. Les grenouilles sautèrent dans l'eau, les oiseaux s'envolèrent et même les serpents s'éloignèrent rapidement pour trouver un endroit sûr, loin des hommes. Quel désordre ! La jonchaie fut dévastée en l'espace de quelques heures. Même l'alluvion ou la tempête n'avait jamais eu un tel effet ! L'après-midi, il ne restait plus que des bébés roseaux et la souche mutilée des autres.

     Les hommes chargèrent le tout sur la charrette et le transportèrent le long du chemin poussiéreux jusqu'au village voisin. L'attelage, accompagné du tintement des clochettes, s'arrêta devant une maisonnette, et les hommes commencèrent à décharger les roseaux en les jetant en vrac sur le sol. Puis, après avoir détaché les boeufs et les avoir conduits à l'étable voisine, ils s'éloignèrent en fredonnant allègrement.

Il commençait à faire nuit. La fatigue du jour se faisait sentir et les hommes en sueur et les mains endolories étaient heureux de rentrer chez eux. Quand la nuit tomba, les femmes allumèrent les lampes à huile dans les maisonnettes et on entendit tous les joyeux préparatifs du dîner. Après le repas, les villageois, sages et travailleurs allèrent se coucher. Seul un vieillard resta sur le pas de la porte en attendant le sommeil. Quelques instants plus tard, le village était plongé dans le silence. Il faisait nuit noire. Du tas de roseaux montait de petits gémissements que l'oreille des hommes ne put entendre...

     Les orgueilleux géants gisaient maintenant à côté des roseaux plus petits. Dans la mort, les petits et les grands sont semblables ! Les rois et les vilains, les riches et les pauvres, tous endossent le même vêtement de poussière et d'oubli.

     A l'aube, le village s'anima à nouveau. Les femmes allaient au puits avec leurs touques sur la tête et les hommes aux champs, tandis que de jeunes garçons sortaient le bétail de l'étable en s'interpellant et s'apprêtaient à l'emmener brouter.

     La vie palpitait dans tout le village; seul l'endroit où gisaient les roseaux coupés était abandonné.

     Quelques jours plus tard, les hommes qui étaient allés dans la jonchaie revinrent et commencèrent à séparer les roseaux en petits tas: d'un côté, les petits, de l'autre, les grands. Ils en firent des fagots qu'ils lièrent avec des joncs. Notre petit roseau tout endolori et un peu étourdi était coincé sous les autres. En attachant les derniers fagots, les hommes l'oublièrent sur le sol. Il resta seul, abandonné à nouveau séparé des autres.

     Quelqu'un le jeta sur le chemin poussiéreux,. Heureusement, il ne fut pas piétiné par la charrette ! Un jour entier passa, puis une nuit, et le cœur du roseau se remplit d'amertume: " A quoi cela servait-il de grandir, de lutter contre les éléments et de vivre, pour finir de cette manière ?" La mort était-elle définitive et la vie un exercice dénué de sens ? Même Yama, le dieu de la mort, ne pouvait pas répondre à sa question. Au comble de l'angoisse, le roseau ne pouvait même plus capter la douce musique qui vibrait dans l'univers et qui lui avait pourtant procuré tant de joie ! La tristesse avait rompu ce silence magique et avec le silence, l'harmonie avait disparu !

     Il commença à pleurer de désespoir. Un nouveau jour se leva sur le village et les hommes commencèrent à s'affairer. Chacun se mit au travail et la vie suivit son rythme habituel. Le roseau entendit résonner au loin des pas d'hommes, accompagnés du lourd bétail. Sa dernière heure était-elle arrivée ? Allait-il être écrasé sous le sabot d'une vache perdant ainsi sa forme de roseau?

 

     Envahi par la peur et par l'angoisse, il attendit le coup de grâce. Il entendit tout à coup le rire joyeux des enfants qui conduisaient les vaches aux pâturages. Un jeune garçon au teint sombre et le front ceint d'un turban les guidaient. Il portait sur sa poitrine nue un bijou du même vert tendre que celui des rizières après la mousson et un " dhoti" (bout de tissu qu'on enroule autour de la taille et qui descend jusqu'aux pieds) jaune d'or, serré autour des hanches.

     Il était beau et si gai ! Son visage resplendissait, et bien qu'il fut parmi les plus petits de taille, il était sans nul doute le chef des vachers de Brindavan. A pas légers, presque dansants, il s'approcha du roseau abandonné au beau milieu du chemin et s'arrêta. Krishna, qui pouvait entendre la voix de toutes les choses de la création, avait entendu les plaintes du petit roseau. Il se baissa pour le ramasser. Puis il continua à sautiller d'un air joyeux en le tenant comme un bâton de commandement. Les habitants du village les saluaient en jetant des fleurs sur leur passage et en souriant gentiment. Les enfants, suivis du troupeau, étaient fous de joie à la perspective d'une nouvelle journée passée en compagnie de Krishna. Toutes les créatures du village et de la forêt en oubliaient le poids de l'existence, la rigueur du travail et la lourdeur du temps qui passe.

     Dieu était parmi eux sous forme humaine, dans le corps aimable d'un enfant, radieux comme le soleil naissant. Respirer le même air, fouler le même sol que Lui, Lui parler, jouer avec Lui, Le voir et répéter en chœur les refrains qu'Il entonnait les remplissaient d'une joie inexprimable.

     Aucun être humain n'avait jamais éprouvé un tel bonheur. Même les dieux au plus haut des cieux regardaient les compagnons de Krishna avec un sentiment mélangé de joie et de douleur.

     Gopala marchait à pas légers, comblant l'atmosphère du parfum de l'Amour et les dieux auraient renoncé volontiers aux délices du ciel pour pouvoir accompagner Krishna comme le faisaient les joyeux vachers de Brindavan.

     Non seulement les dieux soupiraient-ils, mais tout ce que touchait Krishna se chargeait d'une attraction irrésistible qui poussait les hommes, les bêtes et même les éléments à rechercher Sa Présence.

     Krishna souriait d'un air suave, conscient de l'Amour qu'Il émanait et de celui qu'on Lui vouait. il était heureux de voir les yeux de ses petits amis, ceux des vaches et de leurs veaux briller de bonheur.

     Le Roi du ciel et de la terre marchait devant eux, les pieds nus... Maman Yashoda craignant qu'il ne se fasse mal aux pieds au contact des cailloux pointus, avait fait faire une paire de sandales par le cordonnier du village. Mais Krishna avait refusé de les mettre en disant: " Maman ! Mes petits amis, les vaches et les veaux n'ont pas de chaussures, eux ! Comment est-ce que je pourrais marcher devant eux sans crainte des cailloux et des épines ? Comment pourrais-je mériter d'être leur chef si je ne partage pas leurs difficultés ? Non, je mettrai ces sandales quand tu auras fait faire des chaussures pour tous mes amis que j'aime tant ! "

     Sa mère avait insisté, mais en vain. De plus, il y avait une raison secrète entre Krishna et l'Esprit de la terre. Chacun de ses pas étaient une caresse d'Amour qu'Il lui faisait, pour refermer les plaies qu'on lui infligeait depuis si longtemps en la foulant avec haine, terreur et arrogance. Krishna marchait donc les pieds nus devant ses compagnons, en brandissant comme un sceptre le roseau qu'Il avait trouvé par hasard sur Son chemin. Par hasard? Oh ! Non. Rien n'arrive par hasard ni sur la terre, ni dans le ciel ! Tout ce qui se passe est préparé depuis longtemps et chaque chose, chaque être que nous rencontrons dans la vie, à une longue histoire à nous raconter. Le petit roseau qui avait déjà appris le secret du silence et de l'harmonie et qui avait déjà su faire grandir au fond de son cœur le goût de la Vérité, était maintenant entre les mains de l'enfant-Dieu...

     Sa rencontre avec Krishna fut sa vrai naissance. En fait, jusqu'à cet instant, il n'avait fait que traverser la grande nuit et pousser, tandis que maintenant il ouvrait les yeux sur une nouvelle dimension et voyait l'Esprit de Lumière !

     Dans les mains de Krishna, il sentait la même fatigue étrange et le même soulagement qu'il avait éprouvé quand, il y a longtemps, longtemps auparavant, il était arrivé à la surface, après son lent voyage sous la terre.

     Après avoir marché pendant un certain temps, les vachers arrivèrent dans une clairière verdoyante encastrée dans la forêt, comme un œil de soleil. Les vaches commencèrent à brouter avec délice, tandis que les enfants s'allongeaient dans l'herbe haute pour se reposer de la longue marche. La pause fut brève ! Ils se mirent à courir les uns après les autres en riant et en s'interpellant.

     D'habitude, Gopala était le capitaine de leurs jeux, mais ce jour-là, Il resta appuyé au tronc d'un banyan dont le feuillage aux proportions gigantesques était la plus belle ombrelle de toute la forêt de Brindavan.
 Ses compagnons l'appelaient pour qu'Il vienne jouer avec eux, mais Il ne les écoutait pas et continuait Son travail. Avec son couteau, Il faisait des entailles dans le roseau qu'Il avait trouvé par terre. Il était très abîmé et éclaté aux extrémités. Avec un coin de Son "dhoti" jaune, Krishna le nettoya avec Amour et ensuite, avec précision et délicatesse, commença par le libérer de tous les résidus internes, et fit des entailles.

     Le roseau eut très peur quand il vit le couteau. Cela lui rappelait le jour apocalyptique où les hommes, armés de longs couteaux brillants, avaient dévasté la rive des grandes eaux. Krishna se mit à parler à son cœur, et sans prononcer une parole, lui dit: " N'aies pas peur ! Ne crains rien entre Mes mains ! Je t'ai choisi pour faire de toi un instrument de bonheur. Tu seras mon sceptre et Ma musique, et le ciel et la terre danserons en soupirant quand ils entendrons ta chanson. N'aies pas peur, petit roseau. Tant que l'homme vivra sur la terre, il se souviendra de toi et ton souvenir sera lié au Mien. Je réveillerai dans ton cœur le trésor caché de la musique qui dort en toi, et tu seras le symbole de l'Amour pur. "

     D'un bout de roseau brisé, Krishna fabriqua une flûte que nous appellerons " Murali " , une flûte aux sons tellement exquis et parfaits que jamais on en a entendus et jamais on en entendra d'aussi beaux !

     Depuis ce jour, " Murali " devint le compagnon inséparable de Krishna et l'Enfant-Dieu maintint sa promesse. La flûte devint un instrument de joie et les vachers et les vachères de Brindavan, les enfants et les vieillards, les hommes et les femmes et même les animaux de la forêt et les oiseaux dans le ciel se mirent à danser !

    

     Quand Gopala portait la flûte à ses lèvres et commençait à jouer, le silence se faisait dans l'air et dans le cœur des hommes. Chacun pouvait découvrir aux sons de cette musique, l'écho de sa joie la plus pure et de sa nostalgie la plus profonde, au-delà de tout ce qu'on pouvait rêver...

     La flûte, qui avait déjà tant appris grâce aux voix de la nature, atteint la perfection, entre les mains de Krishna.

     Murali n'était qu'une forme extérieure: il n'y avait plus rien en lui qui puisse empêcher Le Souffle du Seigneur de passer. Il avait enfin trouvé ce que cherchent tous les cœurs qui veulent se rapprocher de Dieu: le renoncement le plus complet, l'abandon total.

     La joie de Murali était le chant le plus suave et le plus doux qui existe: l'Amour de Dieu pour toutes ses créatures, un appel incessant qui cherche à pénétrer le cœur des hommes pour les conduire dans la forêt enchantée, jouer avec eux et devenir leur ami.

    Et pour illustrer..; Et pour le plaisir...! Laissez vous emporter.